Lorsqu’une entreprise est confrontée à un lanceur d’alerte qui dévoile, sur internet et les réseaux sociaux, des informations, censées rester au sein de l’entreprise, les murs tremblent. L’onde de choc est immédiate et se propage au-delà des périmètres habituels de l’entreprise.
Une onde de choc
Lorsqu’une entreprise est confrontée à un lanceur d’alerte qui dévoile, sur internet et les réseaux sociaux, des informations, censées rester au sein de l’entreprise, les murs tremblent. L’onde de choc est immédiate et se propage au-delà des périmètres habituels de l’entreprise.
Il ne s’agit pas ici de présenter les définitions du lanceur d’alerte. Notre propos n’est pas non plus de savoir s’il a raison ou tort, si c’est mal ou bien, si le lanceur d’alerte est un coupable, un irresponsable, un idéaliste ou un héros.
En tant que conseil en management des situations sensibles, notre intention est de donner des indications concrètes et objectives sur la manière dont une entreprise doit affronter les turbulences liées aux actions d’un lanceur d’alerte.
Tout s’accélère avec le digital
En ce moment, le procès d’Antoine Deltour, lanceur d’alerte de l’affaire Luxleaks, est relayé par les média et largement commenté sur la toile.
Nous connaissons tous Snowden… bien entendu. Il est LE lanceur d’alerte. Il a secoué le gouvernement américain et placé une grosse épine dans le pied du Président Obama. Mais il n’y a pas que la NSA qui peut se trouver confrontée à un lanceur d’alerte. Toute entreprise peut, à un moment ou à un autre, se retrouver face à une situation similaire. Il y a autant de lanceurs d’alerte potentiels que de salariés au sein de l’entreprise. Les PME comme les grands Groupes ou les institutions sont elles aussi être exposées à ce risque.
Il est aussi important de mentionner qu’ Internet et les réseaux sociaux sont le LIEU où tout se passe, tout au moins, où tout commence. Le lanceur d’alerte trouve logiquement sur le réseau digital, des moyens de diffusion d’informations très rapides et difficilement contrôlables.
Peut-on détecter un lanceur d’alerte ?
Les motivations d’un lanceur d’alerte sont d’origines diverses. Chacun se fabrique sa légitimité en référence à ses propres valeurs : certains ont un profil type, engagé, consciencieux, défendant leurs opinions avec fermeté.
Souvent concerné par les sujets sociétaux, le lanceur d’alerte peut, se sentir déphasé par rapport à l’éthique de l’entreprise. Il peut aussi développer un sentiment d’injustice ou de victime. Certains lanceurs d’alerte ont aussi des sentiments un peu moins nobles : ils peuvent agir dans un esprit de vengeance ou de représailles mais aussi de frustration ou de manque de reconnaissance et assouvir un désir de notoriété, voire même, être motivé par l’appât du gain.
Décryptage du procédé
Un jour, il arrive ce que personne n’a pu prévoir. Le lanceur d’alerte dénonce les pratiques de l’entreprise ou de l’institution qu’il considère non éthiques à ses yeux.
L’entreprise est sous le choc. Généralement après quelques temps de recherches et de questionnement, on s’aperçoit qu’il y a eu des signes avant-coureurs. Il apparaît que ce salarié a exprimé, à plusieurs reprises, son mécontentement. Mais de son point de vue, il a considéré qu’il n’a été ni écouté, ni entendu. Jugeant que sa position n’a pas été suffisamment prise en compte, il va chercher à se faire entendre par d’autres moyens.
Le lanceur d’alerte peut agir au sein ou en dehors de l’entreprise car cette divergence de position a pu mener, dans certain cas, jusqu’à une procédure de licenciement.
Il s’agit de gérer une crise avec une approche globale et systémique
Lorsque le lanceur d’alerte dénonce et désigne l’entreprise, que ses propos s’avèrent justes ou inexacts, celle-ci va devoir gérer cette charge avec beaucoup de lucidité. Car, la gestion de ce type de situation de crise comporte un aspect comportemental et émotionnel très fort. L’entreprise doit être en mesure de dépassionner le débat. Mais souvent la violence des propos et le sentiment d’injustice perçu le Dirigeant peuvent l’amener à agir de manière trop irrationnelle.
Il va être nécessaire de qualifier l’événement en crise, car le lanceur d’alerte met à mal sa réputation et traiter le sujet en conséquence.
Face à cette remise en cause des pratiques de l’entreprise, la première étape est de réunir la cellule de crise avec toutes les expertises nécessaires pour évaluer tous les impacts potentiels et réaliser un travail transversal – RH, juridique, communication interne, externe. Il s’avère, dans un deuxième temps, indispensable de définir une stratégie globale de réponse, en tenant compte de la nouvelle donne que propose Internet et les réseaux sociaux et mettre ensuite en cohérence les différentes leviers : la e-réputation, le social lobbying, le juridique, les relations publiques, les relations presse, la communication interne…
L’entreprise doit être en mesure de comprendre clairement l’enjeu et, autant que faire se peut, proposer une posture de dialogue, d’ouverture, d’échanges et d’engagement. C’est souvent difficile à tenir pour l’entreprise, mais indispensable pour faire passer son message.
Anticiper c’est déjà se protéger
Il n’existe pas de recette miracle ni de solutions toutes faites pour se prémunir d’une telle crise. En revanche, des actions de vigilance sont possibles. Elles tiennent en deux mots : prévention et anticipation.
Ce que nous préconisons :
À faire
- La politique RSE de l’entreprise doit être en cohérence avec sa réalité
- Face aux évolutions de notre société et sa digitalisation, l’entreprise doit revoir sa cartographie des risques et y inclure les sujets sociétaux largement débattus sur les réseaux sociaux.
- L’entreprise doit aussi d’identifier ses « zones grises » et initier et mettre en œuvre des actions correctives.
- La transversalité est un point clé : par exemple la Direction des risques ou Direction de la sécurité doivent travailler de concert avec la Direction de la communication et le community manager.
- Disposer d’une veille intelligente afin de savoir ce qui se dit sur l’entreprise en dehors de ses propres circuits de communication. Cela permet d’identifier les signaux faibles, les sujets sociétaux émergents.
À ne pas faire
- Ne pas céder au croisement cynique : c’est à dire au risque de dissonance entre les actions de responsabilité sociale et environnementale et la réalité de l’entreprise.
- Ne pas prendre en compte le contexte – si l’entreprise ou la filière est déjà en crise, la résonnance sera plus forte.
- Ne pas proposer une gestion de l’événement sous un seul angle. Par exemple, celui du juridique. Certes, le juridique est un élément clé de réponse, mais il faut tenir compte du fait que le temps du juridique n’est pas le même que celui de la communication, en particulier sur Internet et les réseaux sociaux. Il faut tenir compte du fait que le secret de l’instruction empêchera toute prise de parole de l’entreprise. Pendant de temps là, la voie sera libre. De plus, chaque étape judiciaire alimentera le feuilleton et ne fera qu’encourager le buzz.
L’opinion, une nouvelle partie prenante pour les entreprises
Le lanceur d’alerte amène l’OPINION à se positionner en sa faveur. Et l’entreprise, même si elle n’en a pas l’habitude, doit prendre en compte cette nouvelle partie prenante. On l’appelle même la Super Partie Prenante.
Au temps de l’instantanéité et de la connectivité, de ce qu’on appelle l’infobésité, l’entreprise doit, pour communiquer vers l’opinion, privilégier une attitude d’ouverture, d’écoute et d’échanges. Elle doit convaincre et faire preuve de transparence pour mieux prendre en compte cette partie prenante que représente l’opinion. L’entreprise doit sortir, quand cela est possible, du mode binaire de l’affrontement, même si elle a raison, elle ne sera pas gagnante au bout du compte. Ceci passe par une approche systémique pour définir un plan d’action cohérent et équilibré.
Contrôler, surveiller, se méfier ou se refermer sur elles-mêmes sont les postures et les cultures d’entreprise qui favorisent les lanceurs d’alerte.
Pour aller plus loin, nous vous conseillons la lecture de 3 papiers intéressants réalisés par des étudiants du MBA Management de la Sécurité des Données Numériques (MSDN) à l’Institut Léonard de Vinci sur le thème « La liberté d’un salarié (droit de s’exprimer, droit de surfer, droit d’utiliser tel ou tel logiciel, tel outil, dans son entreprise, …) doit-elle s’arrêter là où la sécurité des données numériques commence ? ».
Franck Helie (PDF) | Bernadette Leroy (PDF) | Chrysostome Nkoumbi-Samba (PDF)