On aurait pu croire que dans le secteur de l’agroalimentaire, les crises dites « qualité », c’était du passé ! Ou du moins que le niveau de maîtrise de tous les acteurs de la chaîne était tel, en raison des efforts et des investissements réalisés, que finalement un retrait/rappel produit n’était presque plus une crise. C’est en tout cas ce que nous, conseil et observateur des crises, nous pensions…
On aurait pu croire que dans le secteur de l’agroalimentaire, les crises dites « qualité », c’était du passé ! Ou du moins que le niveau de maîtrise de tous les acteurs de la chaîne était tel, en raison des efforts et des investissements réalisés, que finalement un retrait/rappel produit n’était presque plus une crise. C’est en tout cas ce que nous, conseil et observateur des crises, nous pensions…
Et voilà que durant ces dernières années, les crises alimentaires reviennent au premier plan de l’actualité avec une ampleur incroyable ! Ce n’est pas sans rappeler les années noires de l’agroalimentaire dans les années 90…, alors que se passe t’il et quelles conséquences pour les différents acteurs ?
Les crises alimentent la méfiance des consommateurs
De nombreuses études en font état : les Français sont de plus en plus soucieux de leur alimentation et des conséquences sur leur santé. Ils s’interrogent de plus en plus sur la production de ce qu’ils avalent. En France, l’alimentation arrive en 2ème position des sujets traités sur le web, après le sexe!
Au-delà du contenu de leurs assiettes, ils se demandent comment, dans un monde « code-barrisé », les denrées distribuées n’ont pas la perfection mathématique ? Les français ont pris conscience de la complexité du circuit alimentaire et du fait qu’il peut y avoir des failles dans les systèmes de production et de distribution. Ces crises poussent, dans la mouvance de la remise en question de la société de consommation, à chercher à comprendre ce que nous mangeons vraiment.
Commençons par un petit retour en arrière! Les années 90 concentrent à elles seules un florilège de crises alimentaires les plus importantes.
En hiver 1990, le groupe français Perrier retire de la vente 160 millions de bouteilles aux quatre coins de la terre suite à la détection de dangereuses traces de benzène dans son eau. En juin 1999, Coca-Cola retire des millions de canettes de la vente en Europe. En cause, la mauvaise qualité du gaz carbonique sorti d’une usine de production belge et la présence d’un fongicide dans une usine de production à Dunkerque. Le groupe américain détruit 90 millions de litres de boisson gazeuse.
De 1986 à 1996, c’est l’immense scandale de la vache folle, infection mortelle traduite par la dégénérescence du système nerveux central. Les premiers cas d'encéphalopathie spongiforme bovine apparaissent au Royaume-Uni.
L’infection touche 200 000 bovins. Elle se transmet via les farines animales constituées de carcasses d’animaux infectés et utilisées pour l’alimentation du bétail. Dix ans plus tard, en 96, les premiers cas de transmission à l’homme sont détectés, c’est la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
En mai 1999 démarre l’affaire du poulet à la dioxine. La mort de nombreux poulets et la non éclosion d’œufs inquiètent les éleveurs. Après analyses, des traces de dioxine jusqu’à 100 fois supérieures à la norme sont décelées. En cause, l’alimentation des volailles. Rapidement la France, l’Allemagne et les Pays-Bas sont touchés. La panique s’empare des consommateurs et les supermarchés vident leurs rayons. D’autres épisodes de contamination vont suivre, avec la viande de porc irlandais ou encore la mozzarella fabriquée à base de lait contaminé des bufflonnes de Naples. Entre 2003 et 2006, bien que l’on ne soit pas dans des cas d’ingestion, l’épidémie de grippe aviaire, la « grippe du poulet » déclenche l’alarme des autorités sanitaires puisqu’elle est transmissible à l’homme. L’OMS craint une pandémie pouvant faire jusqu’à 100 millions de morts. Au final, les 240 décès humains obligeront à abattre des millions d’animaux d’élevage.
Ces évènements vont faire bouger les choses et les acteurs de l’industrie agro alimentaire vont renforcer leurs procédures opérationnelles internes, se préparer à la gestion d’une crise, pour identifier au plus vite tout problème sanitaire, rendre plus efficace les rappels produits et mais aussi pour limiter les impacts et protéger au mieux l’image et la réputation de l’entreprise. Les Groupes s’organisent, et en effet, les crises dites « qualité », avec la mise en œuvre de retrait ou de rappel des produits st gérée avec de plus en plus d’efficacité.
Les normes qualité dans l’agroalimentaire
Une décennie passe et voilà que de nouveaux scandales resurgissent ! L’ampleur et les impacts en matière de réputation sont forts et impriment l’inconscient collectif !
En 2011, c’est la bactérie E coli ou les graines germées « tueuses » qui affole la population, à raison : 47 morts, allemands en majorité, et 4 000 malades dans douze pays différents. La crise se caractérise par une épidémie de gastro-entérites de grande ampleur. En premier attribué à un concombre « tueur » puis à des tomates ou encore des salades, l’origine vient finalement d’une ferme biologique allemande, productrice de graines germées.
En 2013 éclate le scandale alimentaire « des lasagnes à la viande de cheval ». Une affaire dans laquelle est substituée à la viande de bœuf de la viande de cheval dans 4,5 millions de plats cuisinés en Europe. La complexité et l'opacité des circuits d'approvisionnement et de transformation est mis en lumière. La viande a été achetée en Roumanie, stockée aux Pays-Bas par un intermédiaire chypriote… La société Findus se retrouve impliquée.
L’été 2017 apporte son lot d’œufs contaminés à l’insecticide Fipronil (produit servant à éliminer des parasites de la poule et strictement interdit chez les animaux destinés à la consommation humaine) dans une vingtaine de pays d’Europe. Des biscuits, des pâtes et des sauces vendus sont contaminés. 250.000 œufs de consommation en France sont eux aussi contaminés. Des exploitations conventionnelles mais aussi bio sont concernées. Scandale sous-jacent, les autorités néerlandaises étaient au courant du problème depuis le mois de novembre 2016…
Et puis, la crise marquante de fin 2017, début 2018 la crise Lactalis avec des laits infantiles contaminés par la salmonelle.
Des consommateurs dont les habitudes de consommation changent et qui demandent des comptes
Il n’est donc pas étonnant de voir que les consommateurs, les activistes… veuillent faire évoluer les choses.
Selon une enquête réalisée par Harris Interactive en 2017, les consommateurs français sont à la recherche d’une meilleure alimentation, bien que les mises en pratique restent encore limitées. Par exemple, si 95 % connaissent le régime végétarien, seulement 5 % consomment, idem pour le sans gluten (93 % connaissent et 4 % pratiquent), le vegan (88 % connaissent et 4 % pratiquent), le crudivore (54 % connaissent et 4 % pratiquent) etc.
Ces nouvelles habitudes sont en lien direct avec les crises alimentaires : 44 % des répondants ont changé leur consommation suites aux différents scandales et leur confiance dans les marques perd chaque jour un peu plus de points.
Et plus encore, les consommateurs n’hésitent plus, les réseaux sociaux aidant, à clouer au piloris marques et dirigeants, si leur gestion de l’évènement et les pratiques qu’elle révèle leur paraissent inacceptables. Cela peut coûter très cher, comme certaines entreprises ont pu en faire l’expérience.
Les pratiques et les responsabilités de chaque acteur sont interrogées
Nous l’avons vu dans les dernières crises, chaque acteur a pu voir à un moment ou un autre, l’opinion publique via les réseaux sociaux, les médias, les associations de consommateurs…, remettre en question les pratiques non seulement des industriels, mais aussi des autorités, des Ministres, des distributeurs ou même des consommateurs qui pour certains, malgré les alertes successives, avaient encore en leur possession des produits incriminés.
De plus, le fait que les politiques interviennent très rapidement dans la mêlée, compliquent souvent la gestion de crise pour les entreprises.
Ces événements sont donc l’occasion pour chaque acteur (entreprise, autorités…) de s’interroger sur ses propres pratiques et sa responsabilité individuelle et parfois collective.
Y aurait-t-il une banalisation des procédures de rappel (quasiment une par jour), qui ferait baisser la vigilance de ceux qui sont en charge de les mettre en œuvre ? La traçabilité des produits est-elle aussi évidente à réaliser, sachant que les circuits d’approvisionnement et de logistique sont de plus en plus complexes ? Quelle place occupe la qualité dans la stratégie, la gouvernance de l’entreprise ? Comment améliorer le dispositif de gestion de crise ? Autant de chantiers sur lesquels les entreprises vont devoir plancher, de gré ou de force.
Le problème ne réside pas dans le fait qu’une entreprise traverse une crise, cela peut arriver… mais la façon dont elle va gérer, communiquer, ce que cela va révéler de ces pratiques va donner le ton… Cohérence entre le discours « officiel », les engagements et la réalité des actes ? Silence radio ou prise de parole ? Prise de responsabilité ou pas ?
A la réaction de l’opinion publique et des parties prenantes, l’entreprise saura très vite, si elle joue la meilleure partition possible dans ce contexte.
En termes de communication, si les choses changent un peu, les entreprises de l’agro-alimentaire sont encore vu sous un angle négatif: les médias traditionnels ont une fâcheuse tendance à ne traiter « qu’à charge » les sujets sur l’agroalimentaire.
Bien sûr les réseaux sociaux donnent une résonnance importante aux crises, mais ils sont aussi le terrain de jeu sur lequel les entreprises, au-delà d’une simple démarche marketing, peuvent faire entendre leur voix, incarner leurs engagements RSE.
Cependant, avant la communication de crise, il est important de prémunir contre les risques et savoir gérer une crise. C’est à dire, se préparer, s’organiser, faire une lecture responsable des signaux avant-coureurs d’évènements sensibles, prendre les décisions qui s’imposent, adopter des comportements efficaces individuellement et collectivement. Et enfin, délivrer des discours acceptables pour que la phrase « la qualité de produits est notre première préoccupation », soit « entendable ». À bon entendeur !